2C- Les commandeurs

Fonction, prise de possession

A la tête de chaque commanderie, le Grand Maître de l’Ordre nomme un commandeur.

Au chapitre gestion, a été décrit, à travers la Commanderie du Palacret, le fonctionnement des commanderies. En conséquence, ci-après, sont uniquement rappelées les différentes dénominations rencontrées :

- Commanderie dite de chambre ″magistrale″: dans chaque prieuré, une commanderie était réservée au maître de l’Ordre ; elle était habituellement gérée par un frère du prieuré qui versait une pension au maître de l’Ordre. Les pensions versées par ces commanderies permettaient au maître de l’Ordre de tenir son rang.

- Commanderies dites de chambre ″priorale″: quatre commanderies (cinq à compter de 1367) étaient réservées au prieur. Pour le prieuré d’Aquitaine, ces commanderies varièrent au fil du temps si ce n’est la commanderie de l’Hôpital d’Angers qui, semble-t-il, en fit toujours partie.

- Commanderie de ″chevissement″ ou de changement : terme utilisé pour définir la première commanderie attribuée à un nouveau commandeur. Cette dénomination prend probablement sa source dans la définition de cet ancien mot français signifiant″ ce qu’il faut pour entretenir quelqu’un ″.

D’après les statuts de l’Ordre le commandeur peut être un chevalier, un chapelain ou même un servant (A1). Pour être admis chevalier l’Ordre a imposé un certain nombre de règles. Dans la langue de France le postulant chevalier doit apporter la preuve qu’il est d’extraction noble et possède au moins huit quartiers de noblesse [parents, grands-parents et arrière-grands-parents, tant paternels que maternels nobles]. Il doit acquitter un ″droit de passage″ fixé à 200 écus d’or à la fin du XVIe siècle, réévalués à 250 écus en 1631. Les chapelains et servants n’ont pas à être d’extraction noble mais doivent ″être issus de parents honorables et gens de bien″. Le droit de passage est fixé, à la fin du XVIe siècle, pour les chapelains et prêtres ainsi que pour les servants, à 150 écus.

La nécessité de choisir en tant que commandeur un homme d’expérience a imposé quelques critères : il doit avoir été admis dans l’Ordre depuis plus de cinq ans, avoir participé à trois caravanes complètes ou armement [trois campagnes ou encore avoir été trois fois choisi et envoyé dans une garnison ou sur une galère]. A partir de 1631 les conditions sont durcies et il faudra avoir participé à quatre caravanes avant ses cinquante ans. Le choix se faisait en sus selon le critère d’ancienneté dans l’Ordre, ce qui conduira fréquemment à choisir un commandeur trop âgé pour avoir une gestion dynamique et de ce fait participera au conservatisme observé dans la gestion de la plupart des commandeurs de la Feuillée.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, suite à leur nomination, les commandeurs viennent personnellement prendre possession de leur commanderie. Cette prise de possession, en présence de notaires et éventuellement d’un autre commandeur, se tient selon un cérémonial très formaté (A2). A la fin du XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, les commandeurs de la Feuillée ne respectent plus guère les statuts de l’Ordre(A1), à savoir l’obligation de résider cinq ans sur leur commanderie, et se font représenter même lors de la prise de possession.

Les commandeurs de la Feuillée et du Palacret

Les archives, découvertes à ce jour ne m’ont pas permis de remonter avant l’an 1313 et ce tant pour la Feuillé que pour le Palacret. J’ignore donc, à ce jour, qui furent les commandeurs des diverses commanderies de Basse-Bretagne avant la dévolution des biens des Templiers aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

Parmi les commandeurs qui se sont succédés, à compter de 1313, il semble que majoritairement ils furent choisis dans la classe des chevaliers. Il n’a été relevé parmi eux, avec certitude, aucun chapelain, ni servant. Pour nombre de commandeurs, je n’ai pu découvrir les bulles d’attribution des commanderies, auquel cas sont uniquement notées les dates pour lesquelles est confirmée, sur un acte quelconque, leur présence à la tête de la dite commanderie ; les dates indiquées couvrent donc une période probablement plus réduite qu’elle ne le fut en réalité.

Commentaires quant aux commandeurs qui se sont succédés au Palacret et surtout quant à l'évolution de la réalité de la dite charge:

En analysant la succession de ces différents commandeurs on perçoit une certaine décadence de l’Ordre aux XVIe, XVIIe et surtout XVIIIe siècles, avec déjà au XVe siècle quelques prémices.

Il apparait clairement dans la succession de ces commandeurs que la plupart surent utiliser leurs réseaux d’influence afin de se voir attribuer la Commanderie de la Feuillée et eux-mêmes surent, en retour, privilégier, non pas leurs descendants puisqu’ils ne pouvaient se marier, mais leurs familles. Le Grand-Maître, Hugues de Verdalle, attribua de grâce, la Commanderie de la Feuillée à Simon d’Aubigné du Boismozé, environ un siècle plus tard Léonor de Beaulieu de Bethomas l’obtint également de grâce et ce alors que ces deux commandeurs n’appartenaient pas au prieuré d’Aquitaine. Alain de Boiséon choisit comme procureur spécial son frère Jean, Jean Baptiste de Sesmaisons fera également appel à son frère Hilarion seigneur de Trévaly. Pierre Chasteigner aurait participé à l’élection du Grand-Maître Aimery d’Amboise, proche parent par alliance. Ours Victor Tambonneau était proche parent du Grand-Maître Adrien de Vignacourt. Cette énumération pourrait se poursuivre. On perçoit par là même que leurs vœux de pauvreté et d’obéissance n’étaient pas les objectifs premiers de nos commandeurs.

On constate également que la plupart des commandeurs vont cumuler et les commanderies et les fonctions au sein de l’Ordre et même hors de l’Ordre. On les retrouve fréquemment non seulement dans l’armée mais surtout dans la marine royale. Jacques de Jalesnes a pris, en 1649, le commandement du Château d’Angers, Léonor de Beaulieu de Bethomas était premier chef d’escadre des galères du roi. On peut citer à ce sujet, hors de Bretagne, le célèbre marin Anne-Hilarion de Costentin, comte de Tourville, très jeune chevalier de l’Ordre de Malte, nommé en 1693 maréchal de France ou encore Pierre-André Sufren, bailli et commandeur de l’Ordre de Malte.

Les commandeurs ayant par ailleurs l’obligation de faire des séjours au ″ couvent″, c'est-à-dire au siège de l’Ordre, il leur est impossible de séjourner régulièrement sur leur commanderie (A5). En ce qui concerne la commanderie du Palacret cette absence se développera surtout à compter du milieu du XVIIe siècle. Pourtant, déjà au XVe siècle, dans une procédure (A6) sur les règles de la quévaise, enclenchée par le commandeur Pierre de Keramborgne, les habitants interrogés en 1444 déclarent : ″ ... est vroy pour ce que, au temps passé, ceulx qui ont esté comandeurs de ladite comanderie de la Feillée ont esté estrangiers, natiffs et demourans hors du païs et duchié de Bretaigne. Car onques à memoere de home jusques à cest comandeur de present n’y eust comandeur en ladite comanderie, de la nacion de Bretaigne ne qui y fust demourant (…). C’est present comandeur est pourveu de ladite comanderie est y a esté envoyé pour la reformer et deffandre pour ce que plussieurs se sont ingerez a usurper les droitz de ladite comanderie … ″. En conséquence de ces cumuls à compter de la deuxième moitié du XVIIe siècle ils habiteront de plus en plus hors de leur commanderie et certains n’y ont probablement jamais séjourné.

On perçoit très fréquemment des dérogations aux statuts de l’Ordre, dérogations dues aux luttes d’influence, pour les attributions des commanderies et des fonctions, entre le pouvoir français, très fréquemment le roi, le pape, et l’Ordre des Hospitaliers. Ainsi que nous l’avons détaillé au chapitre gestion Leonor de Beaulieu de Bcthomas entra en possession de la Commanderie de la Feuillée à la demande du roi, sollicité par Monsieur Alexandre de Bontemps son confident. Simon d’Aubigné du Boismozé, commandeur du Palacret à la fin du XVIe siècle, fut imposé par le pape grand prieur de Champagne et ce contre la volonté de l’Ordre. Alain de Boiséon, Commandeur de la Feuillé à compter de l’an de 1452, se vit pourvu, en 1443 de la commanderie de Bagneux alors qu’elle avait déjà été attribuée, par l’Ordre, à Richard de Pointaillet. Cette lutte d’influence se développa non seulement en Bretagne mais également sur tout le royaume de France. Ce fut particulièrement vrai pour le grand prieuré de France soumis à la mainmise royale[1] : en 1573 Henri d’Angoulême, bâtard d’Henri II, est imposé au prieuré de France ; en 1549, un Guise, François de Lorraine fut promu au prieuré de France à l’âge de quatorze ans ; Louis-Antoine, duc d’Angoulême (1775-1844), fils aîné du futur Charles X, à peine âgé de quelques mois fut nommé, en 1776, à la tête du prieuré de France.

Si les vœux de pauvreté et d’obéissance furent mis à mal il en sera de même du troisième vœu à savoir celui de chasteté. Pour la Commanderie de la Feuillée il fut de notoriété publique que le grand-maître François-Marie-des-Neiges-Emmanuel de Rohan du Poulduc, Commandeur de la Feuillée dans les années 1776, eut de nombreux bâtards avec Giovanna Crespi. Hors du prieuré d’Aquitaine, Nicole de Giresme, chevalier de l’Ordre dont la présence est attestée au siège d’Orléans, auprès de Jeanne d’Arc, où il fut blessé le 21 octobre 1428, grand prieur de France en 1447, fit légitimer en 1451 Regnault de Giresme son fils naturel[2].

Quant au quatrième vœu, à savoir celui de l’hospitalité, que devaient prononcer les frères Hospitaliers, les dernières traces effectives de sa mise en application, que nous avons pu relever en Basse-Bretagne, datent de Pierre de Keramborgne au milieu du XVe siècle.

[1] Jean Marc Roger, L’Ordre de Malte et la gestion de ses biens en France, Flaran 6, 1984, P 176-177.

[2] Service de Dieu, service du prince: le lignage des Giresme, chevaliers du prieuré de France XIVe-XVe siècle par Jean Marc Roger, dans l’ouvrage collectif Hommes, culture, et société à la fin du Moyen Age, PUPS 2012, P315-340.