c- Illustration 2 : fait divers au Palacret

La juridiction du Palacret

Dans le paragraphe précédent nous avons décrit une des fonctions ou privilèges de la commanderie du Palacret à savoir les droits de justice.

L’ensemble des membres et dépendances du Palacret (1) s’étendaient sur un territoire très étendu aussi la justice fut rendue dans le cadre de plusieurs juridictions qui évoluèrent au fil du temps ;

au dix-septième siècle il y en avait trois :

la principale, à savoir , la juridiction du Palacret (2)

La juridiction de Plelo Bocqueho qui se rendait à Chateleaudren

La juridiction de Plouaret


Ces fonctions de justice, outre le pouvoir qu’elles donnaient aux seigneuries, qu’elles fussent civiles ou religieuses, étaient également sources de revenus ; en effet, généralement, ces fonctions de justice s’achetaient.

Nous pouvons ainsi relever dans un mémoire de visite de la commanderie du Palacret, suite à une visite réalisée en 1702, par le sieur Trévaly (sources Archives départementales des Côtes d’Armor -cote H art 576) :

Greffe du Palacret affermé par la commanderie 80 livres

Greffe de Plouaret affermé 59 livres

Greffe du Temple de Plélo affermé 7 livres

Fait divers au Palacret en 1626 : affaire Marguerite Tallema Jan Le Capitaine

Dans le cadre de la juridiction du Palacret nous vous avons déjà restitué une affaire criminelle (2H b) qui s’est déroulée entre 1732 et 1740 mais la majorité des procédures relevaient non pas de la haute justice mais plutôt de la moyenne justice et surtout de la basse justice.

La lecture de ces quelques procédures qui ont échappé à la destruction sont d’un grand intérêt car elles sont les principaux documents qui nous permettent de comprendre la vie de nos ancêtres.

Aussi je vais vous décrire un fait divers qui s’est déroulé au Palacret, qui a conduit à une procédure judiciaire (source AD 22 Bart 854) et que je trouve très savoureux. Cette procédure est la preuve que les passions amoureuses furent de tous temps et que les personnes séduites, par amour pour leur séducteur, peuvent se laisser aller non seulement à des comportements que la morale de l’époque réprouvait mais aussi à des actions malhonnêtes et ce quelle que soit l’époque.

Situons d’abord le contexte :

Le commandeur de l’époque était René de Saint Offange (3), il fit du Palacret sa demeure principale et ce dès sa prise de fonction en 1613 jusqu’à son décès en 1641. En septembre 1626 il s’absenta du Palacret pour se rendre à la Feuillée, distant de plus de 20 lieux (environ 90 km), pour affaires et pour visiter ses différentes commanderies ; les déplacements étaient relativement difficiles à l’époque et l’absence du commandeur va durer plus de 2 mois.

Les faits :

Marguerite Tallema a, durant l’absence du commandeur, la charge d’assurer la gestion de la " maison" ; or elle est tombée amoureuse de Jan le Capitaine, couvreur d’ardoises et les deux amants se livrent à leurs ébats amoureux dans le lit clos installé dans la cuisine du Palacret ; outre ses ébats, pour suivre son amoureux, elle néglige ses tâches, s’absente souvent et vole des meubles ; quant à Jan le Capitaine il se livre à des violences sur le personnel de la commanderie.

Requête du commandeur (dépôt de plainte dirions nous aujourd ‘hui ) :

A son retour le commandeur constate les faits et dépose une plainte ;

La formulation de la dite plainte est, à mon sens, intéressante en elle-même, aussi plutôt que d’en modifier les propos je préfère vous obliger à la lire, telle quelle, en son vieux français ; je me contenterai, pour une meilleure compréhension, du fait qu’il n’y a aucune ponctuation, d’insérer des sauts de ligne à chaque fin de phrase.

« Messieurs les juges de la cour du Pallacret et Pontmelvez


Remonstre hault et puissant Messire René de SAINT-OFFANGE, chevallier de

l’ordre de Sainct-Jan de Jérusalem, seigneur commendeur des commenderies de

la Feillée, Quemper (Coren)tin, le Pallacret , Pontmelvez, comme puis les deux

mois derniers estant allé pour ses affaires à sa ditte commenderie de la

Feillée, il auroict laissé en sa maison aud(it) Pallacret Marguerite Tallema

à laquelle il auroict laissé en charge et gouvernement tous les meubles de

lad(ite) maison tant lingerye, vessaille qu’autrement, mesme toutte la

provi(si)on dud(it) logix pour l’entretien et nouriture de ses domestiques

y estant

et pandant son absence ladicte Tallema se seroict amourasché avec

Jan le Capitaine coupvreur d’ardoise et auroinct tellement faict ensemble

après s’estre suborné l’un l’autre qu’ils ont dissipé et desrobé la plus

grande part de ce qui estoit laissé en charge à la ditte Tallema et après

avoir aussi mal usé du bien dud(it) seigneur, ensemble de leurs corps

pandant ledict temps,

scachant proche le retour dud(it) seigneur, se seroict retiré dud(it) lieu de Pallacret

et emporté avec eux grand nombre de meubles,

et non contents lesd(its) Capitaine et Tallema dud(it) mauvais comportement, le premier dimanche d’octobre dernier, environ les dix à onze heures, ils vindrent à la porte dudict Pallacret auquel lieu ils scavoict qu’il n’y avoit qu’un pauvre homme estropiat nommé Mérien Riou avec ung enfant dequinze ans seullement, chauds de collère, voullant forser la porte et ne le pouvant aisément ferre au reffus que fist ledit Riou de leurs ouvrir la porte, ledit Capitaine commença à p(ro)ferrer plusieurs iniures aud(it) Riou

l’apellant volleur, luy disant outre qu’il n’estoit poinct comme il estoit avec Keradenec qui ne faisoit que voller le monde par les chemins,

et le landemain mattin le(dit) Capitaine et Tallema ayant trouvé lad(ite) porte ouverte entrerent en icelle

et rencontrerent led(it) Mérien Riou, led(it) Capitaine le voullut assommer d’un grand baston qu’il avoit en la main et caillou qu’il luy jepta ce qu’il eut faist n’estoit que ledict Riou s’esquiva au moins mal qu’il luy fut possible.

Et du depuis n’auroinct les dits Capitaine ny Tallema entre aud(it) lieu laissant tout ce qui y estoit à l’abandon d’un chacun, ce considéré .


Vous plaise desdits faicts apoincter enqueste d’office, contraindre les tesmoins qui en peuvent déposer par corps et pour faciliter la preuve permettre impétuer et faire fulminer lettres monitorialles, et pour ferre les exploitz commettre tous sergents et ferre justice.


signé René de

ST-OFFANGE . »

Prise en compte de la plainte :

Pierre Marhant , lieutenant de la juridiction, note :

« Enqueste d'office appoinctée permis contraindre les themoins par corps impettrer et faire fulminer monittoires toutz sergentz comis pour faire les exploictz, ordonne par nous lieutenant de la court de Pallacret et Pontmelve le douziesme jour de Novembre1626 . »

En résumé une enquête est ouverte, les sergents doivent aller auditionner les témoins et si nécessaire un appel à témoins sera lancé (traduction de fulminer monitoire) du haut de la chaire de l’église et ne pas y répondre était un péché avec risque d’excommunication .

Procès verbaux d’audition des témoins :

5 témoignages sont entendus et 5 procès verbaux établis ; tous se recoupant je n’en transcrirais que celui du jardinier du Palacret.


« Jan Cleret jardinier demeurant au manoir du Pallacret paroisse de Sainct Lorans aaigé de trante sept ans thesmoign jure dire veritte purge de conseil et enquis doffice .

Deppose que puis les deux mois et demy led(it) seigneur allant en sa comanderye de la Feillée

Il laissa en sa maison au Pallacret pour servante Marguerite Tallema a laquelle il laissa en charge les meubles de son mesnaige tant vesselle lingerye que autrement mesmes touttes les provisions pour la nouritture et entretenement des servitteurs dud(it)logeix

Pandant labsance duquel seigneur lad(ite) Tallema se seroit pour plusieurs fois absantee dud(it) lieu en la compaignye de Jan le Capittaine coupvreur d’ardoise et laissé led(it) logeix et tout ce que lon luy avoict donne en charge a labandon dun chacun

Tardant en ses pourmenades [promenades] deux jours par chacun voyaige ;

Dict outre que par deux divers jours lad(ite) Tallema et led(it) Capitaine durant labsance dud(it) seigneur fist transporter dud(it) lieu sur unne cavalle [cheval]) plusieurs meubles, ne scaict a quy ils appartenoinct ;

Dict outre que lesd(it) Capitainne et Tallema se etoinct retires dud(it) lieu du Pallacret quelque quinze jours avant le rettour dud seigneur disants aller espouser ensemble ;

dict outre que environ onze mois sont a certain jour quil ne peult cotter il trouva lesd(it) Cappitaine et Tallema couches ensemble dans un lict clos estant pres le feu en la cuisine dud(it) Pallacret et ne se parloict en ce temps que ils fussent maryes ensemble ;

dict outre que pandant labsance dud(it) seigneur a certain jour lad(ite) Tallema fist transporter dud(it) lieu du Pallacret en la maison de Ysabelle Michel unne pottée de beure quy pouvoict pesser vingt et quattre livres dont ayant le depposant eu advis il fist arester lad(ite) pottee de beure jusques au rettour dud(it) seigneur, et sont a present lesd(it) Capitaine et Tallema ensemble en mesme mesnaige, et est son record [témoignage ]. »

Décisions de justice prise

Suite à l’audition des témoins P. Marchand ,lieutenant du Palacret, donne l’ordre « d’appréhender les dits Marguerite Tallema et Jan Le Capitaine, de les constituer prisonniers aux prisons de Guingamp pour y être interroger et répondre aux questions de la partie civile. »

Les éléments que nous avons retrouvés s’arrêtent là ; et nous ne savons quelles furent les condamnations des deux amants délinquants.

Commentaires :

On peut cependant penser que la justice du Commandeur fut clémente car dans le livre de compte du Palacret pour la période 1627 à 1631 ( Archives départementales de la Vienne cote 3H1 registre 443 - seul livre de compte de la commanderie connu à ce jour ) on relève :

à la date du 28 octobre 1627 " baillé à Marguerite Talmat 5 livres 5 sols "

à la date du 26 mars 1628 "baillé à Marguerite Talmat 4 livres "

Ces éléments laisse à penser que moins d’un an après le dépôt de plainte elle avait repris son service à la commanderie du Palacret.

Dans ce même registre on relève, à la date du 29 février 1628, concernant Merien Riou, un des protagonistes de l’affaire « Plus donne au dit sieur Janbatiste (del Silente) dix huit livres pour des medicamans servant pour guerir la jambe de Merien Riou……..18 L "

Nota : texte Y Le Moullec, dessins Yves le Moullec inspirés des dessins figurant dans l’ouvrage "Galerie bretonne ou vie des bretons de l’Armorique par Olivier Stanislas Perrin – Paris –Isidore Pesron libraire éditeur -1836"

Annexes pour mieux appréhender le contexte à l’époque de ces faits divers

(1)

– Membres et dépendances du Palacret

Très tôt, à la charnière de la fin du 14 ème siècle et du début du 15 ème siècle (d’après les documents connus à ce jour) différentes commanderies bretonnes, dont le Palacret, furent regroupées sous la tutelle de la commanderie de la Feuillée (commune du Finistère) ;

Il est même probable que ce regroupement eut lieu dès le début du 14 ème siècle ; sinon comment expliquer le choix d’une obscure et minuscule paroisse du Finistère si ce n’est par le fait que le premier commandeur connu de la Feuillée, Jean de Chalon, faisait partie des représentants de l’Ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem lors de la remise des biens des Templiers à leur Ordre par les représentants du roi de France, Philippe le Bel, vers 1312.

Ce regroupement évolua au fil des siècles ; à la fin du 17 ième siècle elle comprenait La Feuillée, Le Palacret, Quimper Corentin, Le Croisty, Mael et Louch, Pontmelvez.

On peut encore préciser qu’à cette époque seules 3 commanderies à savoir La Feuillée, Le Palacret et Pontmelvez possédaient une maison commandale (ou manoir), les autres membres ou dépendances ne possédaient plus que des biens fonciers, moulins et chapelles .

De même les membres et dépendances du Palacret évoluèrent au fil du temps ; cependant pour en définir les contours généraux nous vous précisons dans le tableau ci - dessous l’état des biens de la commanderie du Palacret au cours de la deuxième moitié du 17 ème siècle :

Légendes du tableau ci-dessus

1 : source AD du 22 cote H543 rentier du Palacret année 1658

2 : source AD du 22 cote H543 rentier Palacret années 1671 à 1674

3 : source AD du 22 cote H546 - rentier du Palacret années 1676 à 1678

5 : source AD du 22 cote H506 tome 2 rapport de visite commanderie du Palacret année 1701

6 : source AD du 22 cote H512 1681 déclaration de dénombrement sous Boismorand des commanderies

8 : source AD du 22 cote H512 1681 déclaration de dénombrement sous Boismorand des commanderies

(2)

Juridiction du Palacret : attribution de la charge de bailly en 1690 (équivalent à juge ou sénéchal ou prévôt ) - source Archives départementales des Côtes du Nord –cote B art 834

Nous vous en donnons ci-dessous la transcription, pour laquelle nous avons conservé l’orthographe de l’époque et l’absence de ponctuation.

« Nous François d’Allogny de Boismorand chevalier de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem grand bailly de la Morée commandeur des commanderies de La Feuillée et Palacret scavoir faisons que pour les bon et louables raport qui nous a esté faict de la personne de meltre Pierre Hamon sieur du Pré , baillif de Guingant et de ses suffisansces et expperiances a faict de la pratique catolicité bonne vie et meurs et pour les bons et agreables servisses quil nous a randu et autres causes a ce nous mouvant luy avons donné et octroié donnons et octroions les estas d offices de baillif et lieutenant des juriditions de Pommellevé et Palacret pour en jouir sa vie durante aux honneurs profis et emolumans et prerogatives qui leurs apartiennent anjoignons a nos vasaus de luy obeir et porter honneur et prions messieurs les juges presidiaux de Rennes de luy admettre et recevoir faict a Paris sou notre saint avec le cachet de nos armes apposé le septieme de janvier mille six cent quattre vingt dix

Signe Guy d’Allogny de Boismorand grand bailly de la Morée »

(3)

-René de Saint Offange

Originaire du Diocèse d’Angers, il devint chevalier de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem en 1592. Il prit possession de la commanderie du Palacret en 1613 ; il en fit sa "maison" et il y demeura jusqu’à son décès en 1641.

Son passage laissa de nombreuses traces au Palacret car il y fit réaliser d’importants travaux.

Ses armoiries sont, entre autres, actuellement visibles dans le mur ouest du cimetière qui entoure l’église de St Laurent.

Elles sont également au-dessus de la statue de la vierge près de l’église de Louargat (dont photo ci-après ; ce qui nous permet de dater cette statue)