b- Illustration 1 : les landes de St Laurent

Pour illustrer les droits de la juridiction du Palacret nous avons reconstitué et transcrit une procédure de cette juridiction contre des particuliers de la paroisse de Saint Laurent ; longue procédure qui se déroula sur plusieurs années, avec de nombreux épisodes, entre 1732 et 1740 (8).

Premier épisode

: le 11 aout 1732

Les landes de Saint laurent (terrains situés entre l’église de Saint laurent et le Palacret) étaient, jusqu’à ce jour, utilisées par l’ensemble des paroissiens comme terrains communs pour y faire paitre leurs animaux ou y cueillir diverses plantes comme les genets.

Ces landes étaient la propriété de deux seigneuries qui décidèrent, ce funeste jour, de les partager ; dans l’acte qui mentionne ce partage le rédacteur ayant fait assaut de titres je ne puis résister à en reprendre les principaux passages, tant cette phraséologie nous parait aujourd’hui outrancière (en en conservant la forme et l’orthographe)

« l’an mil sept cent trente deux, le onze aout devant nottaires du duché de Penthièvre à Guingamp furent présents :

Marthurin Planchet escuyer, conseiller ,secrétaire du Roy, sénéchal et premier magistrat civil et criminel du duché de Penthièvre, pairie de France au siège de Lamballe ,demeurant en son château dudit lieu, paroisse de Notre dame St Jean ; au nom de Louis Allexandre de Bourbon ,comte de Toulouze, duc de Penthièvre, de château Villain et de Rambouillet, gouverneur et lieutenant général pour le Roy en cette province de Bretagne ,amiral de France ,demeurant à Paris rue neuve des petits champs ,paroisse de Saint Eustache

Et noble homme Charles Jacques Hamon sieur de Kernisan faisant pour Ource Victor de Tambonneau chevalier de l’ordre de Saint Jean de Jerusalem ,commandeur des commanderies de la Feuillée, Le Palacret, Quemper, Croisty, Pontmelvez, Mael et Louch et autres membres en dépendant …

… lesquels ont reconnu que le cinq juillet dernier ont fait faire mesurage de la lande de St Laurent proche du bourg qui appartient à son altesse sérénissime à cause de sa seigneurie de Guingamp et audit seigneur commandeur à cause de sa seigneurie et commanderie du Palacret

Et après ce mesurage il auroit été fait un partage de ladite lande et reconnu et convenu que :

la portion de la lande appartenant à son altesse sérénissime monseigneur le comte de Toulouze contient 4435 cordes (9) qui font cinquante cinq journaux trente cinq cordes

et la portion de la lande appartenant audit seigneur commandeur contient 3856 cordes qui font quarante quatre journaux soixante six cordes …

Et pour la division des dites portions il auroit esté planté des bornes … »

Deuxième épisode : année 1733

Une partie des landes appartenant à la commanderie du Palacret est cloturée , des fossés sont créés et ces terres sont afféagées (actuellement nous dirions louées) ; ce nouvel état de fait conduit certains habitants de Saint Laurent à protester.

Cette réaction enclenche en 1733 une procédure ; le commandeur du Palacret Ourze Victor de Tambonneau répond en septembre 1733 à l’écrit « de deffense de René Crachuel, Charles le Brigand ,François Coz, Guillaume le Gallou, Yves le Trividic, Marguerite Godest, François le Floch, Jean Le Gorec, Ollivier Cadiou, Jean Simonnet, maitre Jan Pierrès, Pierre Poasavara, Charles le Puil et François Picolou. (tous habitants de St laurent) »

Le fond en est que ces particuliers reconnaissent que la lande est un commun de la seigneurerie du Palacret et que pour pouvoir en bénéficier il faut être inféodé (faire aveu selon les termes de l’époque ; c'est-à-dire reconnaître que l’on est vassal de cette seigneurerie) ce qui n’est pas leur cas et que donc il leur est défendu d’y faire paitre leurs bestiaux et de disposer des joncs.

Troisième épisode : se termine en aout 1736

Episode que l’ont peut résumer selon les propres termes de la plainte faite au sénéchal de la juridiction du Palacret.

" les voisins chagrins de cette cloture et surtout quelques habitants du village de Kerdidré se sont élancés à l’aide d’autres malfaisants de démolir les fossés et briser par trois fois les escaliers afin d’y faire des ouvertures propres à faire passer des charrettes … ont poussé leur fureur au point de menacer, maltraiter un particulier du village … pour intimider les afféagistes (terme ancien désignant les fermiers) et empêcher la clôture, les uns ont commencé par incendier les mulons de fagots proche le manoir du commandeur , les autres des lots de feuilles de chesne ramassés pour faire du fumier … les autres ont brulé des champs appartenant aux féagistes, des tas de genets propres à faire des couvertures de maisons …"

Par arrêt du 10 décembre 1736 les habitants mis en cause (entre autres Yves le Trividic et Magdeleine le Merer sa femme du village de Kersimon, Robert Chevance, Jean Simonnet et Vincent Picolo) on été condamnés à payer des dommages et intérets ; ce même arrêt qui fait défense de démolir et d’abattre les clotures à été publié au prône de la grand messe de St Laurent.

Quatrième épisode : 1739 et 1740

L’arrêt de 1736 « n’a pas été capable d’arrêter les malveillants … et dans la nuit du 22 au 23 avril 1739 ils commencèrent à incendier une grande berne (11) de fagots contenant six charrettées qui estoient dans le bois taillis de la commanderie du Palacret et douze à quinze charrettes de feuillage … le dessein que le feu eut pénétré dans ledit bois pour le bruler entierement … les chefs des malfaisants n’ont pas fait de difficultés de démolir en plein jour les dits fossés en faisant sotter tous les escaliers et barrières … de faire passer leurs charettes partout …

La sentence est rendue par la juridiction du Palacret le 25 avril 1740 : les particuliers de St Laurent mis en cause (Bertrand le Bouder, Guillaume Simonnet, Yves le Trividic et sa femme, Guillaume Picolo, Robert Chevance, Vincent Picolo, Pierre Poasavera, François Le Gac ,Vincent Toupin, Jean Simonnet) sont condamnés à rétablir les fossés , à payer 9 livres 1 sol 8 deniers pour la valeur des démolitions , 30 livres de dommages et intérets à payer avant la St Michel prochaine puis 13 livres 20 sols avant le 5 janvier prochain.

Cinquième épisode : dénouement dramatique

La procédure s’est poursuivie suite à monitoire (appel à témoins lancé du haut de la chaire lors des offices ; ne pas y répondre lorsqu’on pouvait apporter témoignage était considéré en ces temps comme un péché) ; vingt trois témoins ont été entendus ;

en conséquence le 15 juin 1740 est rendue une sentence demandant la prise de corps de Guillaume Picolo.

Les 11 juillet et 13 juillet ont lieu des perquisitions au domicile dudit Picolo mais tant ce dernier, que les meubles et effets ont disparu.

Suite à assignation d’une quinzaine de jours audit Picolo il est fait le 8 aout constat de son absence et décidé que la coutumace sera poursuivie.

Le matin du dix neuvieme jour d’octobre mil sept cent quarante tombe la sentence que nous transcrivons telle que :

" Nous maitre Arthur Pierre Landon sieur de Quergoff ,sénéchal, et seul juge civil et criminel de la juridiction commandale du Palacret déclare la coutumace contre Guillaume Picolo dit pry bien instruite ; … et l’avons déclaré bien et duement atteint et convaincu d’avoir environ la fin du mois d‘avril mil sept cent trente neuf mis le feu et incendié un tas de fagots … et un tas de feuilles … appartenent à Jean le Bonniec de la paroisse de St Laurens … même d’avoir endommagé ledit bois tailly … Pour la réparation de tout quoy nous l‘avons condemné à être pendu et etranglé jusqu’à ce que mort s’en suive à la potence plantée en la place publique de cette ville (Guingamp) ; ordonnons que tout et chacun ses biens seront confisqués au profit de cette seigneurie.

Sera notre present jugement exécuté par effigie en un tableau qui sera attaché à ladite potence par l’exécuteur de la haute justice … "

Commentaire 1 :

A priori ledit Guillaume Picolo ne s’était pas enfui très loin car j’ai retrouvé 2 ans plus tard trace de son décès « qualifié de mort subite « sur les registres paroissiaux de Landébaeron ; était - ce une formule diplomatique pour dire qu’il fut rattrapé et que la sentence fut appliquée ?

Au dix neuvième siècle ,comme aujourd’hui, il est bien difficile de revenir sur des avantages acquis ; car toute cette malheureuse affaire a eu pour point de déclenchement une volonté marquée des Hospitaliers d’encore mieux gérer leurs biens et d’en augmenter la rentabilité ; et ceci en affermant des terrains leur appartenant ;alors que ces biens ,depuis de nombreuses générations ,étaient utilisés par l’ensemble des habitants de la paroisse comme terrains communs ;

Par ailleurs le régime de la quévaise (10) appliqué sur les biens du Palacret a conduit les fermiers concernés du fait du droit d’héritage qu’accordait ce type de contrat (à leur fils le plus jeune) ,au fil des générations ,à se considérer de plus en plus comme en étant les propriétaires ; le législateur suite à la révolution de 1789 tiendra le même raisonnement et l’application de la loi du 25 aout 1792 en fera des propriétaires (ce qui ne sera pas le cas des fermiers des seigneuries civiles).

Commentaire 2 et compléments d’informations :

En 1739 Jean Baptiste Hermenegilde de Wignacourt succède à Ours Victor de Tambonneau et devient commandeur de « La Feuillée, Quimper, Croisty, Saint Jan Balanan, Pontmelvez, Mael et Louch, Lamagdeleine, Palacret, Plouaret, Plelo, Bocoho, et autres membres … » ;

Il ne s’installe pas dans ses commanderies, séjourne quelques temps à Guingamp mais l’on retrouve surtout sa présence à Lille d’où sont émis nombre de ses courriers ; ces courriers sont à destination de Jacques Joseph Hamon sieur de Porville résidant à Guingamp ; le commandeur lui ayant cédé moyennant 14000 livres la « ferme des revenus général desdites commanderies et de toutes leurs dépendances. ».

Et c‘est de Lille qu’il écrit en 1740 une lettre surprenante (12) dont tous les éléments me la font attribuer à l’affaire des landes de Saint Laurent.

« …. Vous pouvez faire arrêter le malheureux qui a été condamné à être pendu. Comme je ne connais pas d’autres voies pour assurer les afféagements …. Je crois cependant que vous pourriez me l’éviter (dépense), si vous faites avertir sous main ce malheureux que vous avez ordre de le faire arrêter, vous préviendra - t- il en se mettant en sécurité. Je laisse le tout à votre prudence et pour le mieux de la chose …».

On constate ainsi que le commandeur, ayant un revenu annuel forfaitaire de 14000 livres pour ses commanderies, est bien plus indulgent que le fermier général à qui reviennent tous les revenus excédant le montant du au commandeur.