36 - Pons-François de Rosset de Fleury

Le bailly de Fleury et la Commanderie de la Feuillée

Pendant l’essentiel de sa carrière il se fait appeler le bailly de Fleury et d’ailleurs signe en ces termes(A30). Le bailli de Fleury va faire un passage éclair à la tête de la commanderie de la Feuillée : moins de trois années. Il est même probable qu’il n’y soit jamais venu physiquement.

Le 29 mars 1769 son″ altesse éminentissime monseigneur Emmanuel Pinto, grand maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem expédie de la grande chancellerie à Malte ″les provisions curales dûment scellées du grand cachet de l’Ordre et revêtues des formalités requises″ pour pourvoir des commanderies de la Feuillée, Quimper, Faouet, Pont-Melvez, Mael, Palacret, Plouaret et autres membres annexés son ″excellence frère Pons-François de Rosset, bailli de Fleury″[1]. Lequel nouveau commandeur de la Feuillée cumule déjà, dans ce même document, les titres et charges de ″ chevalier profès, grand croix, capitaine général en mer, ambassadeur extraordinaire de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem près du roi des Deux-Siciles, commandeur des commanderies de Bordeaux, ambassadeur extraordinaire de Malte près de sa Majesté très chrétienne.

Le 17 juillet 1769, le bailli de Fleury rédige, au Chatelet devant les conseiller du roi, une procuration au nom de maître Jacques Toudic, notaire royal et apostolique de la sénéchaussée de Rennes, demeurant en la ville de Guingamp, paroisse Notre-Dame, pour prendre en son nom ″possession réelle, actuelle et corporelle″ de la commanderie de la Feuillée et membres en dépendant. A cette date le commandeur de Fleury demeure à Paris en son hôtel rue de la Ville l’Evêque, faubourg Saint-Honoré, paroisse de La Madeleine. La prise de possession va s’étaler entre le 28 août 1769 et le 8 octobre 1769. Le sieur Toudic se fera accompagner par Jacques-Marie Gélard, notaire royal apostolique de la sénéchaussée de Rennes, Yves-Jean Prigent, notaire de la cour ducale, au siège de Pommerit-le-Vicomte, écuyer Jacques-Claude Desjars, sieur des Garennes, et Yves Le Roy, sieur de Kerderrien ; tous les quatre demeurant à Guingamp. Les deux derniers, qualifiés d’experts, ont pour objectifs de ″procéder à l’état des grosses et menues réparations, qui pourraient avoir été négligées par feu monsieur le bailli de Resnon ou ses fermiers, aux églises, chapelles, manoirs, moulins et métairies″. Cet état des lieux avec les estimatifs des travaux à réaliser fait l’objet d’un très long rapport72.

Jacques Toudic outre sa charge de notaire était devenu, suite au décès en 1758 du fermier général Jacques Hamon, sieur de Porville, archiviste de la commanderie de la Feuillée. Aussi le bailli de Fleury, souhaitant réaliser une enquête secrète concernant sa nouvelle commanderie, va lui demander des rapports sur les revenus et fonctionnement de la commanderie. De longs rapports vont s’échanger entre le commandeur et l’archiviste et ce dès le 15 mai 1769. Le bailli de Fleury s’implique directement dans l’analyse du fonctionnement de sa commanderie, interroge l’archiviste sur les coutumes spécifiques à la Basse-Bretagne, sur les unités de mesures utilisées, sur les gains potentiels en cas de paiement en nature des fermages, sur les possibilités d’améliorer les revenus, de mettre en exploitation les garennes…. Il a obtenu du grand prieuré d’Aquitaine des informations concernant la commanderie de la Feuillée qui complètent celles obtenues du sieur Toudic. Le 28 juillet 1769 il transmet à Monsieur de Pontois, archiviste de l’Ordre à Poitiers, un courrier rédigé de sa propre main. Courrier confidentiel puisque débutant par la phrase suivante :″Ne parlez à personne autre, Monsieur, qu’à moi de la valeur de la Feuillée en déposant dans les archives la copie ci-jointe de l’état général des revenus de cette commanderie que ledit Toudic m’a envoyé…″. De ce courrier il ressort que le bailli de Fleury a des soucis financiers (A30).

Carrière de Pons-François de Rosset de Fleury

Il naquit le 18 août 1727[2].

Il est reçu de minorité dans l’ordre de Malte, au grand prieuré de Saint-Gilles, le 22 décembre 1727[3].

Commandeur de Salins en Bourgogne en 1753. Etait commandeur de Bordeaux de 1765 à 1769.

Pour preuve de son passage dans la marine ses titres ou grades, ou charges de général des galères de Malte en 1751 (avec prise de possession le 9 janvier 1755[4]), de lieutenant des vaisseaux du roi ; lors de l’attribution de la commanderie de la Feuillée, en 1769, il porte le grade de capitaine général en mer. L’ordre de Malte aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles intervient essentiellement en Méditerranée contre les ottomans et les pirates. Au XVIIIe siècle les trois régences de Tripolitaine, Tunisie et Algérie se sont plus ou moins dégagées de l’autorité de l’Empire Ottoman. Les ports de Tunis et d’Alger sont devenus des repaires de pirates de toutes origines.

Ci-après quelques épisodes des états de service de notre commandeur dans la marine de l’ordre de Malte :

    • Le 9 avril 1756 les galères de la Religion, commandées par le bailli de Fleury ont quitté Malte pour aller croiser contre les turcs[5].

    • En 1756 les algériens marchent contre Tunis. N’ayant pas de marine, Ali Pacha le bey de Tunis passe un accord avec Malte pour se protéger d’une éventuelle attaque par la mer. Malte va expédier des navires mouiller devant la Goulette, le principal port de Tunis afin de prévenir toute attaque de Tunis par la marine d’Alger.

        • La gazette de France du 28 août 1756 mentionne :″De Tunis le 18 juillet 1756. Le bailli de Fleury mouille actuellement avec un vaisseau de guerre et quatre galères devant le fort de la Goulette. Il arriva le 7 de ce mois à la rade de la Goulette un autre vaisseau de la Religion avec huit navires hollandais, qui ont remis la voile sous l’escorte du même bâtiment″.

        • Tunis ne sera pas attaquée par la mer. Cependant Tunis va tomber suite aux attaques terrestres d’Alger. Le Bey de Tunis et sa famille se sont enfuis. Le bailli de Fleury et son escadre vont quitter Tunis à destination de Malte ayant auparavant arraisonnés et pris six navires corsaires turcs mouillés dans le port. La gazette de France nous en fournit un résumé succint :″ de Marseille le 20 octobre [1756]. On reçoit ici la relation suivante de la prise d’une frégate, de 3 pinques et de 2 tartanes de Tunis, dans le port de la Goulette par les galères et le vaisseau de guerre maltais, le Saint-Jean, commandés par Mr le bailli de Fleury, général de l’escadre de la Religion″. Une relation plus détaillée de cette expédition est fournit en annexe 31.


En 1753 il reçoit la grand croix de l’Ordre.

En juillet 1755 il est nommé ambassadeur extraordinaire de la Religion [Malte] auprès du roi des deux Siciles.

En 1769 il est également ambassadeur extraordinaire de Malte près de sa Majesté très chrétienne. Ci-dessous quelques une des missions accomplies par le bailli de Fleury dans le cadre de cette charge :

    • La Gazette de France de 1761 note que ″ le bailli de Fleury fut envoyé à Malte pour faire l’acquisition du vaisseau amiral turc La Sultane, qui avait été pris par les chevaliers de l’ordre [de Saint-Jean de Jérusalem]. Louis XV en fit présent au Grand-Seigneur[6]″. La gazette de Vienne du samedi 24 octobre 1761 nous apprend que :″ Le vaisseau turc qui devait être reconduit en droiture de Malte dans les ports du levant par le bailly de Fleury et y être restitué à la Porte, fera d’abord voile pour Marseille, d’où il remettra ensuite en mer pour gagner les Etats du Grand Seigneur″.

    • Le 10 juin 1768 « La princesse de Bauffremont-Listenois, fille du prince de Bauffremont, a été reçue le 3 de ce mois, avec la permission du roi, grand croix de l’ordre de Malte par le bailli de Fleury, ambassadeur de la Religion auprès de sa Majesté. Cette dame héritera, ainsi que sa postérité, du droit de nommer à la commanderie de Saint-Jean Diacetto en Toscane″.

    • En 1772 ″ le bailli de Fleury, ambassadeur de Malte eut l’honneur d’offrir au roi les faucons que le grand maître de la Religion est dans l’usage d’envoyer tous les ans à sa Majesté. Ce présent fut reçu par le marquis d’Entragues, grand fauconnier, de France en survivance du duc de la Vallière, et par le chevalier Forget, capitaine du vol du cabinet du roi″.

Ses analyses et projets suite à l’attribution de la commanderie de la Feuillée, en 1769, apportent les preuves de ses compétences de gestionnaire. Par décret du 4 janvier 1772 le grand maître de l’Ordre nomme deux commissaires chargés de procéder à l’examen de tous les domaines et biens de la commanderie de Chantraine. Chantraine, encore appelée la baillie d’Avaltère, est une grosse commanderie située dans le Brabant, ses revenus sont supérieurs à 60000 livres, soit quatre fois ceux de la Feuillée. Le premier commissaire désigné est Pons-François de Rosset, bailli de Fleury. Ce décret le mentionne comme étant déjà le commandeur de Vaillampont, Chantraine et Tirlemont. Le deuxième commissaire est Jacques-François de Bascle d’Argenteuil, chevalier profès, commandeur de Saint-Mauvis[7], procureur général de l’ordre. En 1773 ces deux commissaires finalisent le démembrement de Chantraine et mettent une place une nouvelle recomposition[8] comprenant : Chantraine ayant dorénavant un revenu estimé à 23207 livres, Vaillampont avec un revenu estimé à 24228 livres et Tirlemont un revenu estimé à 19416 livres.

Le bailli de Fleury décède en 1774. A cette occasion le Mercure de France note :″Frère Pons-François de Rosset, de Rocosel, de Fleury, chevalier grand croix de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur de Vaillampont, Chantreine et Tirlemont, ambassadeur extraordinaire de la Religion auprès de sa Majesté, est mort à Paris le 16 octobre, dans sa quarante-septième année″. Les obsèques eurent lieu le 17 octobre à Sainte-Marie-Madeleine de la Ville l’Evêque.

La famille de Pons-François de Rosset de Fleury : Quand l’intérêt personnel prend le pas sur les vocations ou de l’intérêt d’avoir parmi ses proches des personnes très influentes

Armes : Ecartelé, au 1 d'argent, au bouquet de 3 roses de gueules, tigées et feuillées de sinople, qui est de Rosset ; au 2 de gueules, au lion d'or, qui est de Lasset ; au 3 contre-écartelé d'argent et de sable, qui est de Vissec de la Tude; au 4 d'azur, à 3 rocs d'échiquier d'or, qui est de Rocozel ; sur le tout d'azur, à 3 roses d'or, qui est de Fleury.

Arbre d’ascendance de Pons-François de Rosset de Fleury

L’élément principal qui ressort de l’analyse des quartiers de noblesse du bailli de Fleury est que Marie de Fleury, sa grand-mère paternelle, est la sœur d’André-Hercule de Fleury. Ce dernier né à Lodève le 22 juin 1653 devient à 24 ans aumônier de la reine Marie-Thérèse. Au décès de la reine il devient celui de son époux louis XIV. Louis XIV dans son testament le nomme précepteur de son petit fils, le futur Louis XV. André Hercule de Fleury est nommé, par le roi, cardinal en 1726. Très proche de Louis XV il devient à compter de 1726 son premier ministre de fait et le restera jusqu’à son décès en 1743.

Une telle proximité avec le plus haut niveau du pouvoir explique les faveurs dont va bénéficier toute la fratrie de Pons-François de Rosset, bailli de Fleury. Son père sera d’ailleurs le premier à adjoindre à son patronyme de Rosset le suffixe de Fleury.

Arbre de descendance de Jean de Rosset

En analysant la grande la fratrie (10 enfants dont 2 décèdent jeunes) du bailli de Fleury on relève une accumulation de charges, de bénéfices, de faveurs :

    • André-Hercule, marquis de Fleury, est colonel du régiment Angoumois-Infanterie en 1731, maître de camp du régiment Royal-Dragons en 1734, sénéchal de Carcassone en 1734, duc en 1736, gouverneur de Lorraine en 1737, brigadier de dragons en 1740, premier gentilhomme de la chambre en 1741, maréchal de camp en 1744, lieutenant général en 1748, gouverneur d’Aigues-Mortes en 1748. Son épouse Anne d’Auxy de Montceaux est nommée dame du palais de la reine en 1739.

    • Pierre-Augustin-Bernadin est nommé abbé de Longpont au diocèse de Soissons en 1734, abbé de Buzay (en Loire-Atlantique) en 1737, vicaire général de Paris en 1741, premier aumônier de la reine en 1743, sacré évêque de Chartes en 1747.

    • Henri-Marie-Bernadin est chanoine de Paris en 1718, abbé de Royaumont en 1734, de Rabais en 1738, sacré archevêque de Tours au parc de Versailles en présence du roi, de la reine et de toute la famille royale en 1751.

    • Marie-Diane-Antoinette mariée en 1734 à François de Narbonne-Pelet, vicomte de Narbonne.

    • Guillaume-Jean-Ignace maître de camp d’un régiment de cavalerie de son nom en 1738, tué à la bataille de Dettingen (guerre de succession d’Autriche) en 1743.

    • Jean-André-Hercule reçu chevalier de Malte en 1731, enseigne de vaisseau ayant réalisé 2 campagnes en 1741, colonel d’un régiment d’infanterie de son nom en 1744, brigadier en 1748, maître de camp d’un régiment de cavalerie de son nom en 1749, commandeur de Piéton en Flandre du 9 juin 1743 à 1781. Lors de son décès le 21 octobre 1781 il était lieutenant général des armées du roi, gouverneur de Montlouis en Roussillon, commandeur de la commanderie magistrale de Piéton.

    • Gabrielle-Isabeau-Thérèse mariée en 1742 à Charles de la Croix, marquis de Castries.

Il en ressort que Jean-André- Hercule et Pons-François tous deux chevaliers de Malte le sont devenus non pas par vocation, par volonté d’appliquer les quatre vœux d’obéissance, de pauvreté, de chasteté, d’hospitalité que les frères hospitaliers prononçaient dans les premiers siècles de l’existence de l’Ordre mais par recherche de bénéfices ecclésiastique et d’honneurs. D’autant plus qu’ils cumulent nombre de charges et fonctions (notamment Jean-André-Hercule) extérieures à l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

[1] AD22, H608, prise de possession de la Commanderie de la Feuillée.

[2] La plupart des données généalogiques concernant la famille de Rosset de Fleury sont extraites de : de Courcelles (Jean-Baptiste), Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, Paris, Imprimerie de Plasson, tome 8,1827. L’état de la France, du clergé, de tous les bénéfices à la nomination du roi et de l’ordre de Malthe, Paris, chez Ganeau, tome 3, 1749.

[3] Archives de l’ordre de Malte à la valette, 3615E.

[4] Gazette de Brunswick du 10 mai 1755.

[5] Gazette de France du 5 juin 1756.

[6] Le grand seigneur des turcs dit encore le sultan et empereur des turcs.

[7] Commanderie située dans la Somme.

[8] Comte Capelle [secrétaire honoraire du roi, ministre plénipotentiaire], le guetteur Wallon N°1, 1960, La maison de la Bruère [fait partie de la commanderie de Chantraine]. Em. Gachet [chef du bureau de paléographie], comptes- rendus des séances de la commission royale d’histoire, tome XV, 3 juillet au 6 novembre 1848, Essai sur le baillage d’Avaltère et les anciennes commanderies de Saint-Jean de Jérusalem en Belgique.