2I1 - Fin de l'ordre de Malte

L'article suivant ne traite pas directement de la fin de l'ordre de Malte (pour ce voir notre ouvrage Le Palacret : histoire d'une commanderie en Basse-Bretagne). Le dernier commandeur de la Feuillée et donc de la commanderie du Palacret, Alexandre-Louis-Hugues de Freslon de la Freslonnière, dû, en 1792, apporter la preuve, au directoire du district de Guingamp, qu'il avait bien payé à la nation "la contribution patriotique". Le présent article met en avant la réaction surprenante des députés à qui il est demandé d'apporter la preuve qu'ils ont également versé leur contribution patriotique.

LES VERTUEUX…… (députés)

La fin des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem

L’objet du présent article n’étant pas d’expliquer les causes ni les décisions prises lors de la révolution de 1789 qui vont conduire à la disparition, en France, des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem nous allons uniquement lister les principales lois et décrets pris par la Représentation Nationale qui vont conduire à cet état de fait.

Les premières menaces concernant l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (également désigné sous le nom de l’Ordre de Malte) résultent du décret dit d’abolition des privilèges, pris dans la nuit du 4 août 1789. Son article 5 abolit les dîmes de toutes nature même celles concernant l’Ordre de Malte. Son article 6 déclare que les rentes foncières perpétuelles sont rachetables même celles de l’Ordre de Malte. Dans ce même article 6 est mentionné un élément qui ne concerne que les Hospitaliers de Basse Bretagne (La Feuillée, le Palacret et Pont-Melvez) à savoir la mainmorte à laquelle le législateur assimilera, à tort, le régime de la quévaise. La reprise, le 15 mars 1790, de ce même décret concernant les droits féodaux, précisera textuellement dans son article 7 la mise en cause du régime de la quévaise.

La première atteinte générale à l’Ordre des Hospitaliers sera la conséquence du décret du 31 juillet 1791, supprimant en France les ordres de chevalerie impliquant des distinctions de naissance[1]. Le décret du 19 septembre 1792 prononce la saisie et mise en vente des biens de l’Ordre de Malte. Le décret du 22 octobre 1792 définit la mise à disposition de l’Etat des titres de possession de l’Ordre de Malte. Le décret du 12 novembre 1792 apporte un petit correctif en excluant de la vente les biens personnels des ex-membres de l’Ordre de Malte.

Le dernier commandeur du Palacret et la contribution nationale ou impôt patriotique

Originaire du diocèse de Rennes, reçu chevalier en 1769. Nommé commandeur de la Feuillée, du Palacret, de Pont-Melvez et de leurs membres et dépendances en 1781, bailli de l’Ordre, capitaine général des escadres de la Religion, Alexandre-Louis-Hugues de FRESLON de la FRESLONNIÈRE sera le dernier commandeur du Palacret.

Le 19 septembre 1792 est pris, après bien des débats, le décret décidant la saisie des biens de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem[2]. L’article 2 de ce décret spécifie, qu’en compensation, les usufruitiers, le commandeur dans notre cas, seront payés par le Trésor Public leur vie durant. Mais dès le 2 décembre 1792 un nouveau décret réduisait cette indemnité de telle sorte qu’elle soit inférieure à 1000 livres. Précédemment le revenu de la Commanderie de la Feuillée (entité qui englobait la Feuillée, le Palacret et Pont-Melvez) était en brut de l’ordre de 15000 livres et d’environ 7000 livres en net.

C’est à ce niveau qu’intervient le cœur de notre article à savoir la contribution patriotique.

A l’automne 1789 les révolutionnaires ont des besoins pressants d’argent. Le 6 octobre 1789 est voté un décret concernant une contribution volontaire, patriotique, extraordinaire. A l’origine il s’agit, en principe, d’un emprunt étant donné que le mot remboursement, bien que sans précision, y figure. Cette contribution extraordinaire est fixée, pour les revenus annuels supérieurs à 400 livres, au quart de ce revenu (avec diverses déductions) et à 2,5% de la valeur de l’argenterie et des bijoux d’or et d’argent. Elle doit être versée sur 3 ans (1er avril 1790, 1er avril 1791 et 1er avril 1792). Les personnes ayant un revenu inférieur à 400 livres pouvaient en fixer eux-mêmes le montant. Les ouvriers et journaliers sans propriété en ″étaient exemptés mais pouvaient donner ce qu’ils voulaient″.

Le 27 mars 1789, devant les mauvaises rentrées, les députés la transforment en impôt ″forcé, obligatoire″. Simultanément sont prévues des mesures coercitives, notamment des contrôles dans le cadre de certaines fonctions : toutes les personnes dont le traitement est assuré par le Trésor Public devront apporter la preuve du versement de leur contribution patriotique.

Le 18 juillet nouveau décret concernant les modalités de mise en place des contrôles mentionnés dans le précédent décret. Entre autres mise en place, au niveau des districts des départements, ″ de rôles de contribution patriotique de la même manière que pour les tailles et contributions″.

Le 13 septembre 1792 Thomas Penven, dernier procureur fiscal du Palacret, au nom du citoyen Alexandre-Hugues Freslon demande, au directoire du district de Guingamp, la levée des séquestres établis sur ses biens. Pour ce il présente le certificat délivré par le président commissaire de la section des 4 nations, le 2 mai dernier, visé par la municipalité de Paris le 3 du même mois. Certificat constatant que le dit Freslon habite Paris depuis plus de six mois et que le dit Freslon est compris dans la déclaration faite en 1789 pour la contribution patriotique du dit Ordre à cause de ses biens. Avant de statuer le dit directoire réclame un certificat de domicile pour la période entre le 2 mai et le 13 septembre 1792. Le 29 octobre 1792 le certificat de résidence, à présent à Chantilly, est reçu par les administrateurs du département qui prononcent la main levée du séquestre lui permettant jusqu’au 1 janvier 1793 de jouir de ses revenus date à compter de laquelle il recevra le traitement prévu par l’Etat.

Les vertueux députés

Le 10 avril 1792, l’an IV de la liberté, les commissaires de la trésorerie nationale, adressent à la présidence de l’Assemblée Nationale une lettre[3] sur la question de savoir si les députés sont assujettis à justifier de l’acquit de leurs contributions nationales. On y relève que le trésorier payeur principal rappelle aux députés qu’il : « s’agit de la disposition qui assujettit tout Français ayant à recevoir du Trésor Public, à justifier du paiement de ses contributions (…). Que les indemnités sont soumises aux mêmes formes que toutes les autres sortes de paiements. Que les officiers des tribunaux criminels provisoires y sont assujettis pour les sommes qu’ils reçoivent chaque mois à titre d’indemnité. Que les fournisseurs même, qui paraîtraient plus qu’une autre partie prenante, dans le cas de l’exception, sont tenus également des justifications dont il s’agit. Que d’ailleurs dans les mandats délivrés à messieurs les députés, le mot traitement formellement énoncé ne permettrait l’exception à titre d’indemnité, qu’autant que l’on changerait la dénomination ».

Le débat sur cette lettre va s’ouvrir, le 12 avril 1792, à l’Assemblée Nationale[4]. Nous allons en extraire et reporter les éléments principaux :

_ M. Bréard. Les membres de l’Assemblée nationale (…) ne doivent pas être distingués des autres citoyens(…). (applaudissements).

_ M. Chéron-La-Bruyère. Je demande qu’on fasse un article additionnel (…) par lequel il sera établi que les députés ne pourront recevoir leur traitement du mois, qu’il n’aient acquitté le troisième tiers de leur contribution patriotique.

_ M. Goupilleau. J’appuierai la motion (…) mais il faudra un délai.

_ M. Chéron-La-Bruyère. Vous avez trois semaines pour cela.

A compter de cette quatrième intervention M. Chéron-la-Bruyère sera interrompu à chacune de ses tentatives d’intervention. N’interviendrons plus que des opposants au projet d’article additionnel. A maintes reprises plusieurs membres de l’Assemblée demanderont le rapport du décret ou la fermeture de la discussion.

M. Kersaint s’indigne que l’on puisse vouloir contrôler les représentants du peuple comme si l’on mettait en cause leur civisme et ″ le membre qui a fait cette motion mériterait d’être rappelé à l’ordre″ (applaudissements).

M. Rougier-la-Bergerie, bien que la lettre des commissaires de la trésorerie, mentionne que la lettre de mission des députés précise qu’ils touchent un traitement, intervient dans les termes suivants ″nous n’avons ni salaire, ni traitement, ni pension″.

M.Lecointre-Pyuraveau dans une longue intervention demande l’annulation de l’éventuel article additionnel au décret qui lui parait injuste et qu’il entend réfuter les raisonnements spécieux qui l’ont étayé. Ce qu’il fait dans les termes suivants : « on ne peut payer à un particulier un traitement, une pension ou un salaire quelconque sur le Trésor Public, sans qu’il rapporte la quittance de sa contribution patriotique. Ce principe, Messieurs, ne nous est pas applicable par la raison que ce n’est pas un traitement, mais une indemnité qui nous est accordée. Et vous savez que la loi que l’on a citée n’a rapport qu’aux traitements publics ». (Murmures).

M. Charlier : « Il n’y a pas de bon sens à M. Chéron de prétendre que nous recevons un traitement ».

M. Ducos : « la proposition qui a été décrétée tout à l’heure fut faite à l’Assemblée Constituante, qui passa à l’ordre du jour parce qu’elle ne souffrait pas que l’on porta atteinte à sa dignité par de misérables détails. (…) j’appuie la proposition de rapporter le décret ».

Le président fait procéder au vote. L’’Assemblée vote l’annulation du projet de décret.

Intervention de M. Caminet : « Je demande que dans les mandats qui sont délivrés aux députés, le mot indemnité soit substitué à celui de traitement ».

L’assemblée adopte la proposition de M. Caminet.

Le président passe à l’ordre du jour suivant ………………..

[1] Tout chevalier membre d’un tel ordre, même si l’ordre était étranger, ce qui était le cas de l’ordre des Hospitaliers, et qui aurait voulu en rester membre, aurait, en conséquence de ce décret, perdu sa nationalité française.

[2] Les biens du clergé de France avaient été saisis et mis en vente suite à la prise du décret du 2 novembre 1789. Le décret du 30 mars 1792 confisquera les biens des émigrés qui se sont établis à l’étranger à compter du 1er juillet 1789.

[3] Archives nationales, carton C146, feuille C213.

[4] Archives parlementaires1787à 1860, 34-51.